samedi 7 février 2015

Lambeaux de verre

À l’aise dans son fauteuil, Smith tenait sa flûte à champagne comme on tient une épée, fièrement et redoutablement. Il battait tout le monde en ingestion de champagne. Il le buvait délicatement, mais sans faire un nombre incalculable de manières, et tout en gardant une dignité maîtrisée, virile et à la fois si raffinée. Cependant, l’évènement suivant le mit en incapacité de le boire ainsi, voire de le boire tout court. Fâcheux, mais réel.

Pour une raison inconnue, le ferry bascula. C’est alors que Smith, qui s’apprêtait à s’humecter les lèvres du nectar sacré – pour un être humain normalement constitué – qu’est le champagne, s’aperçut que sa flûte commençait à se fêler verticalement, comme si un objet au poids considérable – et à la lenteur exagérée, au vu du temps qu’elle mit à se briser en fins lambeaux de verre – l’eût frappée de front. Smith s’écria alors « Mais le verre n’a rien cogné, c’est absurde ! », avant d’amorcer un éclat de rire tout aussi distingué que sa chemise et sa cravate, toutes deux en soie fine. Son valet, pris d’un élan de sympathie, voulut le prévenir, et il aurait fallu qu’il le prévînt quelque peu plus tôt.

Un lambeau de verre humecté de champagne entra dans la digne bouche de Smith, lui raya violemment le palais, avant de ressortir de l’autre côté de son crâne. On vous épargnera le fabuleux voyage à travers la glande pinéale, et l’arrachement d’un bout de cervelle ainsi que son atterrissage poignant dans une plante verte[1].



[1] Un ficus, pensons-nous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire